Bonis de liquidation : Nouvelle mesure - précisions
Faisant suite au contrôle budgétaire du 29 mars 2013, la Loi-Programme du 28 juin 2013 a rehaussé le précompte mobilier sur les bonis de liquidation (de 10 % à 25 % à partir du 1er octobre 2014) et, parallèlement, introduit la possibilité pour les sociétés d'incorporer au capital leurs réserves taxées à un taux de précompte de 10 %, avec l'objectif d'éviter une vague massive de liquidation.
La nouvelle mesure permet de sortir des réserves au taux de précompte de 10 %, contre 25 % pour un dividende ordinaire, sous certaines conditions et moyennant maintien de ces réserves au capital pendant une durée de 4 ans (PME) ou 8 ans (grandes entreprises).
Sauf à envisager réellement la liquidation de la société avant le 30 septembre 2014, la mesure actuelle est donc fiscalement attrayante.
L'avantage de l'incorporation avec application du taux de 10 % ne peut toutefois pas être cumulé avec le droit aux nouveaux taux réduits de 20 % et 15 % sur les apports en numéraire postérieurs au 1" juillet 2013.
1. Texte légal
D'un point de vue légistique, la mesure temporaire prend la forme d'un taux réduit de précompte mobilier (et d'imposition distincte à l'impôt des personnes physiques).(1)
Conformément à l'article 537, al. 1er'ce nouveau taux réduit a vocation à s'appliquer « aux dividendes qui correspondent à la diminution des réserves taxées telles qu'elles ont été approuvées par l'Assemblée Générale au plus tard le 31 mars 2013 à condition et dans la mesure où au moins le montant reçu est immédiatement incorporé dans le capital et que cette incorporation se produise pendant le dernier exercice comptable qui se clôture avant le 1er octobre 2014» (art. 537 (nouveau) du Code des impôts sur les revenus).
(1) Pour le cas où les revenus ont été déclarés à l’IPP
Les conditions de ce taux réduit sont discutées ci-après.
2. Attention : incorporation avant fin 2013!
L'incorporation au capital doit se produire « pendant le dernier exercice comptable qui se clôture avant le 1er octobre 2014 » (art. 537, al. 1er du CIR).
Pour les sociétés clôturant leur exercice entre le 1er octobre et le 31 décembre, la dernière clôture utile avant le 1er octobre 2014 est donc bien celle de 2013 et, dès lors, l'augmentation de capital devra encore avoir lieu cette année.
Pour les sociétés clôturant leur exercice entre le ler janvier et le 30 septembre, la dernière clôture sera celle de 2014 et elles auront donc un délai plus important pour réaliser l'augmentation de capital.
Toute modification à la date de clôture des comptes après le ler mai 2013 reste sans effet.
3. Réserves éligibles
La mesure vise les dividendes qui correspondent à la diminution des « réserves taxées telles qu'elles ont été approuvées par l'Assemblée Générale au plus tard le 31 mars 2013 ».
Seules sont visées les réserves taxées. II convient donc de définir attentivement le montant des réserves éligibles dans le chef de la société.
3.1. Comptes annuels de référence
Pour éviter toute forme de manipulation due à l'effet d'annonce de la nouvelle mesure (par exemple, par rapport aux sociétés qui ont tenu leur assemblée au plus tard le 31 mars 2013 et qui n'avaient pas connaissance de la mesure — Doc. Parl., Doc 53, 2853/014, p. 11), les réserves sont celles des derniers comptes annuels approuvés par l'assemblée générale au plus tard le 31 mars 2013.
En d'autres termes, pour les sociétés qui clôturent leur exercice par année civile, il s'agit de la clôture au 31 décembre 2012 (si les comptes annuels 2012 ont été approuvés avant ou le 31 mars 2013) ou de celle au 31 décembre 2011 (si les comptes annuels 2012 ont été approuvés après ou le 1er avril 2013).
Pour de nombreuses sociétés, la clôture comptable de référence pour le calcul des réserves éligibles sera donc celle de 2011. Ceci ne manque pas de susciter des discussions délicates quant à la pertinence de ce critère et quant a l'impact d'éventuelles variations de réserves survenues entre 2011 et 2012.
3.2. Typologie des réserves visées
Selon le récent commentaire de l'administration, vise en l'occurrence (i) les réserves disponibles, (ii) les bénéfices reportés, et (iii) les réserves taxées incorporées au capital (voy. Circ. Ci.RH 233/629.295 du 1er octobre 2013, point 7). La notion de « réserve taxée » au sens fiscal est cependant plus large de sorte que l'on peut se demander si certaines autres réserves pourraient également s'avérer éligibles (e.g. réserves indisponibles, provisions imposables, etc.) (voy. not. Com.IR. nos 185/2 et ss., 199/128 et 129).
La justification du renvoi à l'approbation de l'assemblée générale n'est pas claire. Si l'on se réfère aux travaux parlementaires, ceux-ci ne se référent d'ailleurs qu'aux « réserves taxées existantes au 31 mars 2013>> (sans viser ['approbation de l'assemblée générale) (Doc. Parl., Doc 53, 2853/001, p.8).
Comme indiqué ci-avant, l'objectif parait essentiellement d'éviter des manipulations au sein des fonds propres (Doc. Part., Doc 53, 2853/014), sans intention de limiter la mesure a des « réserves » dans un sens comptable.
Par contre, II s'impose que les sommes éligibles puissent être distribuées en vertu du droit des sociétés. Selon les catégories de fonds propres, les conditions d'une distribution peuvent varier.
4. Distribution et incorporation au capital
Le taux réduit pour la distribution des réserves taxées ne vaut qu' « à condition et dans la mesure où au moins le montant reçu est immédiatement incorporé dans le capital. >>
4.1. Operations visées — choix des associés
SeIon le récent commentaire de l'administration, les actionnaires ont individuellement le choix de participer — même partiellement — à la mesure (voy. Circ. Ci.RH 233/629.295 du ler octobre 2013, point 12-14).
Par ailleurs, l'administration confirme que l'augmentation de capital peut avoir lieu en nature (avec rapport de réviseur) ou un numéraire (avec versement des fonds sur un compte spécial), mais que la libération doit être intégrale (compte-tenu de l'exigence d'incorporation « immédiate »).
Cette interprétation est conforme avec le droit des sociétés, qui implique que les associés ne soient tenus qu'à concurrence de leur apport de sorte que, si des benefices sont distribués, ceux-ci ne puissent être contraints de les apporter au capital (voy. not. Cass. 17 décembre 1931, R.P.S., 1932, p.35).
4.2. Réincorporation du « montant reçu »
La réincorporation doit équivaloir « au moins» au « montant reçu » par les associés.
Par « montant reçu », it faut entendre le montant net du dividende (après retenue du précompte mobilier a 10 %) (voir Doc. Part., Doc. 53, 2853/001, p. 10). En cas d'exonération, ce serait alors le montant brut qui devrait être réincorporé (voy. L. Maes, « Régime transitoire pour les bonis de liquidation : nombreuses difficultés », Fisc., 2013, 1344, p. 10). Selon l'administration, ce montant s'entend même « par action » (cf. Circ. précitée, point 12).
4.3. Effet dilutif
Pour les personnes physiques, l’intérêt fiscal de l'opération est manifeste. Ce n'est par contre pas le cas pour les actionnaires exonérés de précompte et/ou pour qui le précompte mobilier n'est pas libératoire. Ces actionnaires auront néanmoins un intérêt à suivre l'augmentation de capital pour éviter une dilution de leur participation.
II s'agit d'examiner comment appréhender cet impact compte-tenu de l'actionnariat de la société.
5. Condition de maintien du capital
La mesure suppose le maintien du capital durant les quatre années suivant l'apport (petites entreprise) ou durant les huit années suivant l'apport (grandes entreprises).
Pour la définition de petites entreprises, il est fait référence à l'article 15 du Code des sociétés (à savoir, sur une base consolidée, les sociétés qui, durant le dernier et avant-dernier exercice, ne dépassent pas plus d'une des limites suivantes : 50 travailleurs, chiffre d'affaire de 7.300.000 EUR HTVA, total du bilan de 3.650.000 EUR ; et sauf les sociétés occupant plus de 100 travailleurs).
A défaut de ce maintien, la réduction de capital est assimilée à un dividende est, par dérogation à l'article 18, al. ler, 2°, du CIR, soumise à un précompte mobilier dégressif. (2)
(2) Pour les petites entreprises, 15 % durant les deux premieres années suivant l'apport, 10 % durant la troisième, et 5 % durant la dernière. Pour les grandes entreprises, 15 % durant les quatre premieres années suivant l'apport, 10 % durant les cinquième et sixième, et 5 % durant les dernières.
Tel que rédigé, l'on peut se demander si la sanction du précompte s'applique également en cas de liquidation ultérieure de la société.
Cette diminution est réputée s'opérer en premier lieu en déduction de l'apport en capital réalisé suivant le régime en question (art. 537, al. 4, du CIR). Ceci impliquerait que toute réduction de capital sera d'abord imputée sur le capital en question.
Cette règle d'imputation crée des difficultés lorsque tous les associés n'ont pas participé l'opération, mais bénéficient de la réduction de capital. Sauf à corriger cet effet, des associés se verraient alors retenir le précompte mobilier lors de la réduction de capital d'actions sans avoir profité de la mesure. Cette règle est de nature à rompre l'égalité des associés.
Par contre, ii ne serait pas totalement exclu d'éviter l'imputation lorsque des réserves sont incorporées au capital (mais alors avec application du précompte mobilier ordinaire).
Enfin, pareille règle d'imputation a également été prévue pour les apports en numéraires à partir du juillet 2013 offrant un taux réduit. L'application conjointe de ces règles ne manquera pas de générer des discussions.
6. Cotisation distincte : remplacement du dividende ordinaire
Le législateur a souhaité empêcher que les sociétés ne remplacent les dividendes ordinaires par l'incorporation des réserves au capital (Doc. Parl., Doc. 53, 2853/001, p. 9).
Aussi, est-il prévu d'appliquer une « cotisation distincte » non déductible de 15 % à concurrence de la proportion du résultat comptable qui ne serait pas distribuée l'année de l'incorporation des réserves distribuées. La proportion est calculée sur base du rapport entre les dividendes alloués au cours des cinq périodes imposables précédentes et la somme des résultats comptables de ces périodes.
A suivre le texte légal, la cotisation distincte ne serait pas plafonnée au montant des réserves incorporées au capital selon la procédure transitoire. De plus, elle est conçue comme une « cotisation distincte» à charge de la société, et non d'un précompte mobilier. Cette cotisation ne serait donc pas imputable par l'associé, même celui qui autrement est exonéré de précompte mobilier. Cette règle peut également aboutir à rompre l'égalité des associés.
Il convient dès lors d'être particulièrement prudent et, en pratique, il est préférable d'éviter de se retrouver dans son champ d'application.
7. Impact sur le taux réduit
Le législateur a clairement prévu que « les dividendes qui satisfont [aux conditions précitées] n' entrent pas en considération pour le calcul de la limite prévue à l'article 215, alinéa 3, 30 » (art. 537, al. 2, du CIR).
En conséquence, les dividendes précités n'entrent pas dans le calcul du plafond de 13 % du capital libéré pour les besoins de l'application du taux réduit à l'impôt des sociétés.
8. Conclusion : profitez de la mesure
L'incorporation des réserves au taux de 10 % constitue actuellement une des rares mesures fiscales attrayantes. Mais cette mesure se révèle également technique. Il convient d'en examiner l'intérêt exact pour votre société et, le cas échéant, d'en tirer le meilleur profit.
Benoît Malvaux, Avocat-associé - Strelia scrl - Email: benoit.mahiaux@strelia.com
Eric-Gérald Lang, Avocat Strelia scrl - Email: eric-gerald.lang@strelia.com